Et si on chantait avec les mains ?

Ajouté le 15 avr. 2019, par Florence Batisse-Pichet
Et si on chantait avec les mains ?

Colombe Barsacq et Isabelle Voizeux en représentation aux Trois Baudets, en 2013.
Colombe Barsacq et Isabelle Voizeux chantent et chansignent ensemble
Colombe Barsacq et Isabelle Voizeux en représentation aux Trois Baudets, en 2013. ©Jean-Yves Lacôte

Grâce au chansigne, paroles et musiques sont enfin accessibles pour les personnes sourdes ! Pour comprendre la genèse de cette discipline artistique, rencontre avec la chanteuse, comédienne et metteuse en scène, Colombe Barsacq, une artiste engagée à la cause.

De quand date l’émergence du chansigne ?

La Langue des Signes Française (LSF) ayant été interdite en France pendant 100 ans, il y a eu un phénomène d’invisibilité des personnes sourdes dans la société. Cette stigmatisation a été d’une violence extrême. Le « Réveil des Sourds » en France date des années 70. Alfredo Corrado, un artiste américain sourd - qui justement avait comme modèle la France, à l’époque où la Langue des Signes était pratiquée à un niveau élevé -, se rend compte du désert culturel. Il insuffle une dynamique avec des pratiques théâtrales corporelles et la création de spectacles. Il est à l’origine de la fondation de l’IVT (International Visual Theatre) en créant un centre socioculturel des sourds, basé au Château de Vincennes. Dans son sillage, Emmanuelle Laborit en reprend la direction, et transfère l’activité à Montmartre. Jusqu’à la Loi du 11 février 2005 qui instaure la reconnaissance officielle de la LSF, en tant que langue française, les activités de loisirs des personnes sourdes signantes se limitaient aux pratiques sportives, danse et cirque par manque d’accès au texte à cause de l’absence de traduction. Les pratiques évoluent peu à peu permettant de plus en plus l’accès à des conférences et des adaptations dans le spectacle vivant.

À partir de quand voit-on émerger des artistes chansigneurs ?

Dès les années 2000, des artistes Sourds ou non - Emmanuelle Laborit et sa troupe, Delphine Saint Raymond, Isabelle Voizeux, Laety Tual (entendante), puis Olivier Schetrit, Clémence Colin… - s’emparent du chansigne. Ils travaillent sur du rap ou de la chanson française ou anglaise. Aujourd’hui, de plus en plus d’artistes entendants font appel à des artistes sourds pour chansigner et inversement des chansigneurs sourds sollicitent des musiciens. Certains créent aussi leur musique tel « Le mur du son », un groupe de 5 instrumentistes sourds ! Un deuxième opéra bilingue est en cours de création et Disneyland Paris intègre désormais, dans deux de ses spectacles, des artistes sourds chansigneurs. 

Comment progresse la pratique du chansigne ?

De plus en plus d’élèves en école d’interprétariat de LSF s’y intéressent. Certains intervenants utilisent le chansigne pour enseigner. Il y a des mémoires sur le sujet et des universitaires se penchent sur la « tradadaptation » : même la sémantique évolue. Une école de théâtre bilingue en LSF qui intègre le chansigne s’est ouverte à Toulouse. Enfin, de plus en plus d’interprètes de LSF sont invités sur scène dans des concerts et des festivals par des artistes. 

Quel est le déclic qui vous a conduit à vous intéresser au chansigne ?

Depuis toujours, je rêvais de chanter en ouvrant mon répertoire à un large public. Quand je rejoins l’IVT comme responsable de la production et de l’accueil des compagnies, l’impact du chansigne, que je découvre grâce au spectacle l’Inouï Music-Hall, est immédiat : je réalise l’adéquation entre le format court chanson, l’expression linguistique de la langue des signes et la rythmique de la musique. Quand je co-fonde la compagnie Rayon d’écrits avec Michel Trillot en 1997, l’objectif à partir de 2007 est de créer notamment des spectacles 100% bilingues (Français/LSF) dans trois secteurs : musique, théâtre et clown.

Quel était le défi de « Eaux vives & Terres Nues » ?

Il s’agit du premier spectacle de chanson française entièrement bilingue en français et Langue des Signes française. Je souhaitais transmettre ce patrimoine avec des reprises de Claude Nougaro, d’Henri Salvador et Milor Tillech’. Pour transmettre la chair des mots et le corps du texte, avec Bachir Saïfi, j’ai mené un travail sur l’adaptation en chansigne et la mise en scène de la Langue des Signes, pour que l’ensemble devienne totalement musical. Ce mot « musical » s’est d’ailleurs transformé dans les années 2009 avec le terme de « vusicalité » : musique visuelle !

Comment vivez-vous l’expérience de la scène avec un artiste chansigneur ?

Je travaille avec des artistes sourds dans la complémentarité. Ni l’artiste sourd, ni moi, ne sommes là pour traduire l’autre. Nous devons trouver la co-existence sur le plateau, en complicité, pour être au service des textes. Lorsque j’ai produit le deuxième spectacle de chanson-chansigne « Elle a tant… » avec Isabelle Voizeux, nous étions dans une dynamique de création sur des textes dont je suis l’auteur et l’interprète, cependant nous étions à une place équivalente, comme en miroir. Chacune avait son instrument, elle, ses mains et moi, ma voix. 

Comment les choses évoluent-elles auprès des institutionnels ?

Ils prennent conscience de la nécessité de créer un accès à la culture, permettant dans une salle de spectacle la présence d’un public mixte mêlant personnes entendantes et personnes sourdes. Avec Isabelle Voizeux, nous avons accompagné les équipes de Disneyland Paris. Notre collaboration a commencé par une démarche de sensibilisation par une conférence autour du chansigne et un coaching. Nous poursuivons notre partenariat, pour la troisième saison, par l’accompagnement des équipes sur le casting jusqu’au travail d’adaptation et de coaching pendant les répétitions avec des artistes sourds qui assurent la narration en LSF tous les week-ends dans le spectacle « Mickey et le Magicien » et chansignent dans le « Le Roi Lion et les Rythmes de la Terre1 ».

Un événement coup de cœur ?

Le Festival Clin d’œil de Reims qui aura lieu du 4 au 7 juillet 2019. C’est une rencontre internationale qui a lieu tous les deux ans et réunit des artistes sourds de toute la planète : là-bas, dans les rues, pas un bruit. La nuit, des centaines de personnes échangent en Langue des Signes.

Votre actualité ?

Je suis sur l’écriture de mon prochain spectacle qui s’intitule « 7eme ciel » à l’horizon 2020 et j’ai également une série de productions de clips.

 

Le chansigne à l’honneur

Diffusée sur M6 pour la Semaine Européenne pour l’Emploi des Personnes Handicapées en novembre 2018, cette série de 4 clips a été réalisée par l’association Jaris2 avec le soutien d'Audiens et de l'Agefiph, dans le cadre de la Mission Handicap de la Branche audiovisuelle. Pour son fondateur, Éric Canda : « Ce projet réalisé à 100% par des personnes en insertion ou en situation de handicap, permet de sensibiliser de façon ludique le public à la différence. ».

 

(1) Spectacle disponible du 30 juin au 22 septembre 2019, représentations chansignées les week-ends.
(2) Jaris est le seul centre de formation en France à proposer à des personnes en difficulté ou en situation de handicap, un accompagnement pédagogique et d’insertion socio-professionnelle pour se former aux métiers des médias, de la culture et de la communication.

 

 

À voir

« Le Pays de sourds » (1992), ce documentaire réalisé par Nicolas Philibert, raconte l'histoire des Sourds et de la Langue des Signes et nous fait voir le monde à travers leurs yeux.
Le troisième film de Laetitia Carton « J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd » sur la communauté des sourds et la Langue des Signes, en hommage à feu son ami sourd, avec qui elle avait commencé à apprendre la langue des signes, sorti en janvier 2016.


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