Comprendre les mécanismes du harcèlement avec Virginie Megglé

Ajouté le 29 janv. 2021, par Florence Batisse-Pichet
Comprendre les mécanismes du harcèlement avec Virginie Megglé

Portrait de Virginie Megglé.
Portrait de Virginie Megglé.
Portrait de Virginie Megglé. ©Peter Gabor

Afin de comprendre les mécanismes du harcèlement moral, nous avons rencontré Virginie Megglé. Cette psychanalyste spécialisée dans les dépendances affectives et les troubles de l'enfance et de l'adolescence est l’auteur d’une dizaine d’essais publiés pour la plupart chez Eyrolles, dont le dernier paru en 2020 s’intitule « Le harcèlement émotionnel ».

Quel parcours vous a menée au métier de psychanalyste ? 

Très jeune, j’ai suivi des études de psychologie en parallèle d’un cursus en cinéma et audiovisuel. J’ai d’ailleurs commencé ma carrière professionnelle dans la télé et le cinéma. C’est en devenant mère que j’ai été rattrapée par la psychanalyse. J’ai alors repris un travail personnel ainsi qu’une formation. Avant de me mettre à l’écoute de l’inconscient des autres - et pour pouvoir l’accueillir - j’avais besoin de me considérer comme guérie au-delà des apparences.

Votre pratique s’appuie également sur les constellations familiales, le transgénérationnel et la psychosomatique... 

Le symptôme est un des ricochets d’un traumatisme qui se joue sur plusieurs générations. À cet effet, le transgénérationnel a une dimension thérapeutique : un travail sur son arbre généalogique peut donner des clés, tout comme l’identification de répétions à travers des dates anniversaires ou encore la position dans la fratrie… Un enfant est l’objet de projections inconscientes : il importe de déceler ce qu’il vient « re-présenter » dans la vie de son père et de sa mère.

Quel constat sur les souffrances récurrentes de vos patients ?

Dans bien des cas, il s’agit d’abus de pouvoir, d’incestes et de formes de harcèlement… Soit on tombe dans la fatalité, soit on s’arme de courage pour prendre le temps de se soigner. Il s’agit de renouer avec sa nature première - son enfant intérieur -, de se mettre à l’écoute de ses émotions, de se souvenir en retrouvant une forme d’innocence mais en l’armant mieux. Quand on est bien dans sa peau, on a des envies de partage sans domination : les dominateurs sont de grands malades.

Comment s’est imposée à vous l’expression de « harcèlement émotionnel » ?

Cette expression m’est venue durant l’écriture de mon livre. De nombreux patients me consultent pour des motifs de harcèlement moral convaincus que l’harceleur, c’est toujours l’autre ! Dans ma pratique psychanalytique, je me préoccupe davantage du fonctionnement de la relation à l’œuvre que du symptôme, c’est ainsi d’ailleurs que celui-ci finit par se résorber. J’ai pu constater que si les personnes restent dans l’accusation de l’autre, elles ne peuvent pas avancer pour elles-mêmes et la situation se reproduit, dans le même cadre ou dans un autre. C’est pourquoi, l’espace thérapeutique permet de comprendre comment on participe malgré soi à cette relation. Car si on ne peut nier qu’il y a de véritables harceleurs, il ne suffit pas de dénoncer le comportement de l’autre pour venir à bout du harcèlement : il est inhérent à certaines relations qui deviennent addictives de part et d’autre. 

Diriez-vous que le harcèlement moral est d’ordre émotionnel ?

Que ce soit dans le cadre professionnel ou dans une relation amoureuse, les mêmes mécanismes se rejouent au niveau de la rencontre entre deux inconscients. Les mêmes disfonctionnements émotionnels prédisposent aux situations de harcèlement. 

Dans l’introduction de votre ouvrage, vous décrivez le grain de sable : ce moment où « La fusion se transforme en prison »…
La vie est « séparation », mot qui, étymologiquement, appartient à la même famille que « sevrage ». Tant que celui-ci n’a pas été effectué ou quand la séparation première a été mal vécue, un traumatisme demeure. Dans certains cas, il a pu être surmonté par générosité ou pour faire plaisir… et la personne fait alors comme si tout allait bien. Mais il reste un mal-être qui pousse à chercher une relation fusionnelle que l’on va idéaliser comme un lieu de refuge. Or dans la fusion, l’autre n’existe pas et c’est insupportable.

Peut-on revenir sur les dérives du harcèlement émotionnel et au phénomène de l’emprise que vous abordez dans votre ouvrage, comme un écho à la vague #metooinceste suite à la parution de l’ouvrage de Camille Kouchner « La familia grande »?

L’initiative de ces mouvements et témoignages me soulage. Nous sommes dans une société dominant-dominé où l’affectif a été mis de côté : on a dû subir en silence. Or les personnes qui exercent une emprise sont de grands malades, s’arrogeant le pouvoir en imposant le silence. Pendant longtemps, on a eu l’injonction de taire tout ce qui nous fait ou nous a fait mal. 

Comment sortir d’une emprise ou d’une forme de harcèlement émotionnel ?

Un dysfonctionnement émotionnel est un terreau propice au harcèlement émotionnel. Il faut non seulement couper les liens mais se soigner. Car lorsqu’on a vécu une situation de harcèlement émotionnel, on a tendance à la reproduire ou à se heurter douloureusement à des gens qui sont dans le déni de leur propre pathologie. Si l’on ne voit pas qu’on a été contaminé, on a tendance à retourner vers une personne qui aura le même langage : il faut s’en guérir, faire preuve de patience envers soi-même pour en apprendre un nouveau. Quand on a vécu le harcèlement moral ou les abus d’un inceste, on est d’une fragilité extrême et on court le risque de perdre son âme. D’où la nécessité vitale de s’octroyer le temps de prendre soin de soi. 

La clé d’une relation apaisée ?

Avant d’être pathologique, la dépendance est naturelle : on a besoin d’aimer et d’être aimé. L’attente de ce que l’on n’a pas, de ce que l’on désespère avoir, déclenche des émotions et une dépendance addictive. En gagnant en autonomie, on sort de l’isolement et il n’y a plus de surinvestissement dans l’autre ni d’idéalisation mortifère. L’autonomie est la clé d’une relation réjouissante. 

Quel chemin mène à la guérison ?

Si une personne me fait souffrir en me marchant sur le pied, vaut-il mieux lui courir après pour lui dire qu’elle m’a fait mal ? Ou vaut-il mieux soigner mon pied ? Guérir, c’est oser se dire qu’on est souffrant soi-même. C’est reconnaître que l’autre nous a fait mal, qu’il a réveillé des blessures de la petite enfance : pour prendre soin de soi, il faut le décider, en saisir l’occasion quand elle se présente. On ne fait pas une thérapie parce que l’on va mal mais parce que l’on a le désir d’aller mieux. 

Qu’apporte un travail thérapeutique ?

Cela permet un travail bénéfique en profondeur, dans un cadre neutre, soutenant, et où la bienveillance permet à la personne qui vient en thérapie de se mettre à nu en toute confiance.
On ne peut pas faire une thérapie sur ordonnance : le plus souvent, un cheminement personnel y prépare. Il faut avant tout se fier à son intuition, à son désir. Et si l’on s’en donne le droit, on a aussi un pouvoir d’auto-guérison. Quand on a une difficulté dans une relation évitons de penser en termes de culpabilisation, car si on prend soin de l’humanité en soi, cela a des répercussions bénéfiques sur la relation.

Y-a-t-il d’autres moyens de se guérir ?

Il faut juste prendre ce qui nous apaise. Au final, ce qui est thérapeutique est de l’ordre de l’amour. Personnellement, la littérature et le cinéma m’ont autant aidée que la psychanalyse. Au début de ma carrière, il y avait des théories avec lesquelles je n’étais pas forcément d’accord. Quand on souffre seul et que l’on découvre dans les pages d’un livre que d’autres que soi ont vécu la même chose, une forme de reconnaissance s’opère, apaisante. Si j’écris des livres, c’est en partie pour aider à cette prise de conscience. 

Le mot de la fin ?

Prendre soin de soi, c’est prendre soin de l’humanité.

 

À lire : 

Le harcèlement émotionnel, Éditions Eyrolles (2020)
Étonnante fragilité, Éditions Eyrolles (2019)

 

Les représentants de salariés et d'employeurs du secteur culturel se sont mobilisés, avec le soutien du ministère de la Culture, pour créer une cellule d'écoute et de soutien psychologique. Audiens le groupe de protection sociale de la culture et des médias, en est l’opérateur. Un seul numéro pour la contacter, le 01 87 20 30 90. 

 

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