Crise sanitaire : la seniorisation de la société en marche ?

Ajouté le 08 juil. 2020, par Alexandre Faure
Crise sanitaire : la seniorisation de la société en marche ?

Prix Entreprises et Salariés Aidants 2019.
Prix Entreprises et Salariés Aidants 2019.
Prix Entreprises et Salariés Aidants 2019. ©Erwan Floc’h

La crise du Covid19 a fait naître de nouvelles solidarités afin de préserver nos aînés. Dans le même temps, le confinement a eu un impact majeur sur les relations sociales, en privant les citoyens de déplacements et de sorties. Quelles conséquences peut-on attendre de cette crise, quelles leçons en tirer à un niveau individuel et sociétal ? Thierry Calvat, sociologue et co-fondateur du Cercle Vulnérabilités et Société, apporte son éclairage sur le sujet.

Alexandre Faure : Quel regard portez-vous sur les États Généraux de la seniorisation lancés par Serge Guérin et le Manifeste Longévité porté par Jérôme Guedj et Luc Broussy ?

Thierry Calvat : Un regard bienveillant. 

Ce sont des actions d’utilité. La crise sanitaire Covid-19 a montré que la question du vieillissement est centrale dans la société. 

Ces deux démarches permettent de s’attaquer à une problématique qui est celle du vieillissement. 
Il me semble que les deux approches procèdent d’une approche assez classique, celle d’un monde infini et en croissance, croissance y compris dans l’espérance de vie. 

À sa façon, la gestion du covid-19 s’est construite sur cette logique. On a réanimé des personnes qui vont peut-être décéder dans 2 ou 3 mois, mais on leur a fait gagner deux ou trois mois. 

Ces démarches sont fondées sur l’idée que la longévité est une forme de ressource inépuisable. Ce qui est assez questionnant à une époque où en termes d’environnement et d’écologie, on évoque l’épuisement et la finitude des ressources. Elles sont cohérentes dans ce qu’elles proposent, car elles veulent faire en sorte que cette longévité, qui est vécue comme un progrès le devienne effectivement. 

Les États Généraux appellent à une seniorisation de la société grâce à la création d’un écosystème qui fait que cette seniorisation pourra s’exercer le plus longtemps possible. 
Du côté du manifeste longévité, on est pour une approche plus orientée sur les personnes âgées, sans doute un peu plus intense dans ce qu’on peut aujourd’hui développer vis-à-vis d’elles. 

AF : Faudrait-il se poser la question de l’éthique de la longévité avant de décider si c’est le modèle de société que nous désirons choisir collectivement ? 

TC : Nos sociétés modernes ont adopté une forme de maitrise de plus en plus grande de la vie. Ce qui peut amener à l’utopie transhumaniste. Le transhumanisme c’est l’aboutissement ultime d’une approche qui consiste à dire qu’on est de plus en plus maîtres de facteurs biologiques, jusqu’à désigner la mort comme une anomalie.

J’ai été frappé de constater que la question des interactions sociales des personnes âgées ait été peu prise en compte pendant le confinement. 

Penser que la santé biologique est plus importante que les interactions sociales entre en contradiction avec des études qui montrent le contraire1.

Par exemple, avec le Cercle Vulnérabilité et Société, dont Audiens est membre, nous avons interrogé des aidants sur leur définition du bien vieillir. Pour le mesurer, nous posions une question dont les deux bornes extrêmes et absurdes sont : est-ce que bien vieillir c’est être seul et en bonne santé ou malade et en bonne compagnie. Près d’1/3 des répondants préfèrent être bien entourés, quitte à être malades avec derrière la maladie, le fait de mourir.

La dimension sociale est importante dans le vieillissement. Elle est prise en compte par le manifeste et les États Généraux qui visent à limiter l’isolement. Mais elle n’habite pas toujours les politiques touchant à la santé publique. Depuis une cinquantaine d’années, ces politiques visent à être dans la maitrise de la santé, au travers d’une prévention construite sur des injonctions : manger-bouger, ne pas boire ni fumer. 

Sans en critiquer l’intérêt, on voit tout de même que cette approche sanitaire se fait au détriment des occasions qui, traditionnellement, créaient de la sociabilité. Avant, les personnes âgées se retrouvaient dans des bars. On allait fumer sa cigarette et boire un verre. Aujourd’hui, ces lieux ont disparu, car les politiques de santé publique considèrent la cigarette et la boisson comme nocives à la santé. Ces lieux n’ont pas été remplacés. 

Comment sortir de cette approche purement biologique de la seniorisation et admettre que les facteurs sociaux sont aussi importants que les facteurs sanitaires ? 
 

1Etude Cercle V&S sur les lieux de  prise en charge de la dépendance – 2019.

AF : La crise covid-19 va-t-elle accélérer l’adaptation de la société au vieillissement ? 

TC : Je pense que cette crise a été traversée par une dimension forte. Il y a eu un effet de solidarité où des murs se sont effondrés entre des acteurs qui se côtoyaient et n’avaient jamais trouvé le moyen de travailler ensemble. Des collaborations inédites se sont mises en place. Par exemple, nous avons monté une plateforme avec la Croix Rouge, une autre sur le deuil2.

Il faut cependant savoir rester lucide sur les causes racines. Ce qui a créé de la solidarité durant la crise, c’est principalement la peur collective. Si vous voulez coaliser l’humanité tout entière, placez-là en présence d’une menace extra-terrestre ! La peur est un levier puissant pour faire en sorte que des acteurs travaillent ensemble parce qu’ils y ont objectivement intérêt. 
L’enjeu pour demain, c’est de trouver comment on poursuit cette solidarité alors que la peur a disparu. 

Je pense que nous le ferons si nous prenons conscience que cette collaboration génère des gains sociaux et économiques. Ce sont eux qui vont favoriser le renforcement.

Dans les mois qui viennent, nous devrons tirer des enseignements des actions pour voir ce qu’elles ont produit. Et si l’énergie est à la hauteur du gain généré.

Le pari que je fais, c’est qu’il sera largement supérieur, en termes de retour sur investissement, à l’énergie initiale. 


2Entraide sur entraide.arbitryum.fr et mieuxtraversersondeuil.com.

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