Émilienne Malfatto : lauréate 2021 du 5e Prix Albert Londres du Livre

Ajouté le 03 janv. 2022, par Florence Batisse-Pichet
Émilienne Malfatto : lauréate 2021 du 5e Prix Albert Londres du Livre

Émilienne Malfatto, photojournaliste et lauréate du Prix Albert Londres du Livre 2021.
Émilienne Malfatto, photojournaliste et lauréate du Prix Albert Londres du Livre 2021.
Émilienne Malfatto, photojournaliste et lauréate du Prix Albert Londres du Livre 2021. ©Benjamin Géminel / Hans Lucas

Le 15 novembre 2021 à la Bibliothèque François Mitterrand, se déroulait la 83e édition du Prix Albert Londres dont Audiens est partenaire. Son directeur général, Frédéric Olivennes, a remis le trophée dans la catégorie livre, à la photojournaliste Émilienne Malfatto, lauréate 2021 pour son ouvrage « Les Serpents viendront pour toi », paru en juin aux Arènes. Retour sur une vocation qui a pris sa source sur le terrain…

Pour l’année de ses trente-deux ans, Émilienne Malfatto aura fait fort. Après le prix Goncourt du premier roman qui lui a été décerné, en mai dernier, pour Que sur toi se lamente le Tigre publié chez Elyzad, elle obtient la récompense ultime dont rêve tout journaliste : le Prix Albert Londres. Elle s’en confie : « En école de journalisme, quand on évoquait entre nous le prix Albert Londres, on en plaisantait. C’était un mélange de blague et de graal inaccessible. C’est une période merveilleuse mais qui n’est pas forcément simple. Quand on vient de la réalité de la pige, on n’est pas habitué à ce tourbillon soudain. Il y a des opportunités qu’on a peur de refuser et je dois aussi garder en tête la réalité du terrain. » 

Le journalisme n’était chez elle, ni un rêve, ni une vocation. Elle a notamment étudié en Colombie et l’opportunité d’un premier stage, au bureau de l’AFP à Bogota, crée le déclic : « C’est la découverte du métier sur le terrain qui m’a donné envie de faire du journalisme. Le travail m’a plu immédiatement. Mais c’est surtout une expérience au sein du quotidien colombien, El Espectador, l’équivalent du Monde en France, qui m’a fait éprouver l’adrénaline d’une rédaction. Je me suis alors dit, pourquoi ne pas être journaliste ? » Après deux ans à Science Po Paris en journalisme, elle présente la bourse AFP et obtient son premier CDD. L’expérience de l’agence est « une bonne école de rigueur et de sérieux ». Pourtant, elle veut revivre celle du terrain qu’elle avait goûtée en Colombie. Après qu’elle eut exprimé le souhait de bouger, sa direction l’envoie au bureau de Chypre. Nous sommes en mai 2014 : un mois presque jour pour jour, avant la prise de Mossoul par l’organisation Etat islamique. Émilienne qui a alors vingt-quatre ans fait son baptême dans le journalisme de guerre : « Cette période correspond au début du califat et des grandes offensives islamiques de l’organisation Etat islamique… En septembre 2014, le chef du desk de Nicosie m’expédie en Irak. Et là, j’ai eu un coup de cœur pour ce pays. Quand mon CDD de l’AFP arrive à échéance, je décide de me mettre en freelance. » 

Photographe autant que journaliste, elle alterne entre la photo et l’écrit, selon son ressenti. Elle pige principalement pour des médias étrangers, notamment pour le Washington Post. Sur sa façon de travailler ? Elle explique : « Je fonctionne de façon assez obsessionnelle par rapport à des sujets, des régions, des personnes et des phénomènes. Plus on creuse, plus c’est complexe et ça devient de plus en plus intéressant. Deux zones que je connais sont la Colombie/Venezuela et l’Irak. J’y travaille en tant que photographe avec des projets que je mène au long cours depuis cinq ans, et sans rapport avec l’actualité. Ce que je ne pourrais pas me permettre si j’étais rattachée à une rédaction. » À la différence de ses collègues, elle reconnaît ne pas être une mordue de l’actualité et ne pas vouloir subir les notifications de son téléphone. Biberonnée à France Inter qu’écoutaient ses parents, elle préfère suivre des podcasts car elle se reconnaît dans le journalisme au temps long. En tant que lectrice de médias, elle constate : « On peut aussi se poser des questions sur l’indépendance de certains journalismes et les tribunes ouvertes à certains bords politiques. Je n’ai hélas pas les réponses et j’ai du mal à m’y retrouver. » En revanche, son passage à l’AFP lui a laissé un réflexe : « Si une info vient d’une agence de presse, j’ai tendance à avoir davantage confiance. » Le rituel du café avec Le Monde est un lointain souvenir. Abonnée au New York Times, elle lit le New Yorker pour son approche plus décalée et surtout, quand elle s’intéresse à un sujet, elle va diversifier les sources… Si elle devait donner un conseil à un jeune journaliste ? Sa réponse est immédiate : « Il faut d’abord lire et écrire. De même pour la photo, on commence par ouvrir les yeux : on regarde des peintures, des photos, on s’aiguise l’œil. C’est ça qui m’a aidée. Ça et le terrain. Rien ne remplace le terrain. »

Revenons à l’origine du récit, Les Serpents viendront pour toi, qui lui a valu le Prix Albert Londres du livre 2021. À travers les éditions des Arènes, Patrick de Saint-Exupéry la sollicite pour faire un récit sur un sujet de son choix : « J’en ai proposé un seul car il me tenait à cœur depuis longtemps : les « leaders sociaux », ces syndicalistes, responsables associatifs et simples citoyens, qui sont tués par centaines en Colombie dans l’indifférence générale. J’avais un parti pris : ne raconter qu’un seul cas, incarner l’histoire. » L’atout d’Émilienne pour aborder un tel sujet est sa connaissance de la Colombie. Si l’idée était de trouver un seul cas, comment le choisir ? Elle commence par se rapprocher des chercheurs, des ONG et des instituts qui recensent les assassinats en expliquant, pour chacun, ce qui s’est passé. Mais alors pourquoi cette Maritza plutôt que tout autre ? Elle raconte : « Il y a eu une conjonction de facteurs. Maritza avait été assassinée dans la région de Santa Marta : une zone accessible, ce qui était une donnée importante à la différence d’autres régions plus sensibles. De surcroît, le tourisme s’y développe énormément. Je me mets alors à creuser son histoire. Et expliquant à une amie que j’hésite entre plusieurs cas dont celui-ci, il se trouve qu’elle avait le contact de la fille de Maritza. » Des échanges ont lieu avec cette dernière, par messagerie. La prudence reste la règle, car sur les enfants aussi planent des menaces de mort et ils se cachent. Après avoir rencontré la fille de Maritza pour lui expliquer sa démarche, la confiance s’établit et celle-ci la met en relation avec ses frères et sœurs. « Grâce à ce sésame, j’ai mené seule, l’enquête pendant trois mois. Le rapport n’est pas le même quand on travaille ainsi. Je mettais en place des ‘security checks’, par exemple quand j’ai eu rendez-vous avec le possible assassin de Maritza ou quand je me suis rendue sur le lieu du crime : une finca très isolée. »  

Après le temps du terrain, vient celui de l’écriture. Même si toutes ses notes sont rédigées en espagnol, elle doit se contraindre à écrire en français. Mais alors même qu’elle prévoyait de s’y consacrer au tout début de l’année 2020, Émilienne est rattrapée par l’actualité. Le 3 janvier 2020, Qassem Soleimani, le général iranien est assassiné par l'armée américaine à l'aéroport international de Bagdad. Elle doit aussitôt partir là-bas et couvrir la situation. Le temps du vol jusqu’à Bagdad sera consacré à la rédaction de l’incipit. C’est seulement après l’épisode irakien que le récit de Maritza pourra reprendre : ce sera en France, durant le premier confinement, avec près de deux mois d’écriture Le résultat ? Un récit poignant et palpitant qui rend hommage à Maritza mais aussi à toutes les victimes anonymes des « leaders sociaux » en Colombie. Parce que cette enquête bouleversante n’aurait jamais eu une telle place dans un journal, la catégorie livre du Prix Albert Londres créée depuis 2017, rappelle la force des récits de journalistes. 

HL_bgeminel__DSC9816.jpg (FRANCE - ALBERT - LONDRES - AWARD)

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