Entretien avec Pierre-Emmanuel Le Goff, le co-fondateur de La Vingt-Cinquième Heure

Ajouté le 02 déc. 2020, par Florence Batisse-Pichet
Entretien avec Pierre-Emmanuel Le Goff, le co-fondateur de La Vingt-Cinquième Heure

Pierre-Emmanuel Le Goff, précurseur en France du e-cinéma.
Pierre-Emmanuel Le Goff, précurseur en France du e-cinéma.
Pierre-Emmanuel Le Goff, précurseur en France du e-cinéma. ©La Vingt-Cinquième Heure

Être attentif aux mutations, c’est anticiper les crises. Ce qui devrait être la règle dans l’art de gouverner. Si Pierre-Emmanuel Le Goff, le co-fondateur de La Vingt-Cinquième Heure, ne fait pas de politique, il a l’agilité de la génération du numérique. Précurseur du crowdfunding dans ses débuts de producteur, ce professionnel engagé a lancé un concept de cinéma augmenté durant le premier confinement, promis à un bel avenir. Explications.

Votre parcours en résumé avant l’aventure de la Vingt-Cinquième Heure ?

Après une licence en droit et un master en réalisation, j’ai enchaîné des petits boulots, de JRI à cadreur, avant de réaliser mes premiers documentaires. En 2008, je fais une entrée remarquée dans la production en créant ma société - sans argent mais avec des idées ! Pour financer le film Alice au pays s’émerveille de Marie-Eve Signeyrole dans lequel joue Emir Kusturica, je lance la première plateforme de financement participatif. On fait notamment le buzz avec un teasing dans lequel on se montrait à poil en sollicitant les internautes pour qu’ils nous rhabillent en finançant le film ! On réunira près de 75 000 euros et le film sera présenté en sélection au Festival de Locarno. Je m’intéresse ensuite à de nouveaux formats, je produis et suis coauteur d’un web documentaire sur la révolte iranienne : Iranian stories. Autre experience, avec la distribution : j’organise une tournée en bus pour lancer le film Donoma de Djinn Carrénard. Puis en 2012, je crée avec Natacha Delmon Casanova, La Vingt-Cinquième Heure, une société de production et de distribution.

Quel est le positionnement de La Vingt-Cinquième Heure ?

Notre souhait est d’explorer demain aujourd’hui. Dans la manière de produire, on se frotte à de nouveaux formats et aux outils numériques. Sur le fond, on prend en compte les mutations de notre monde, à travers les thématiques de la transition au sens large – l’écologie, la société, les mouvements migratoires, l’égalité homme-femme... Plus largement, ce qui nous anime, c’est la quête de sens ! En plus de huit ans, on a produit une dizaine de longs métrages, de documentaires télé et plusieurs films dont ceux sur la mission de Thomas Pesquet - que j’ai d’ailleurs réalisés. Et il y a toujours en arrière fond cet ancrage sur le devenir de notre société. Faire notre métier aujourd’hui, sans intégrer les grandes mutations à l’œuvre, ce n’est pas le faire correctement. 

Vous étiez préparé à cette transition numérique d’un cinéma à distance ? 

Oui, depuis plusieurs années déjà, on était en réflexion sur une exploitation optimale de nos documentaires et longs métrages. On avait observé que les séances les plus attractives étaient les séances avec débats. La différence de remplissage était flagrante avec une moyenne pouvant monter à 100/150 personnes en salle. Sauf que si les réalisateurs sont pris en charge (transports, hébergement…), ils ne sont pas rémunérés ; en réalité, ils perdent beaucoup de temps et cela représente un coût conséquent pour les exploitants. 

Un déclic ?

Parfois, il m’est arrivé de partir à l’autre bout de la planète sur un festival pour défendre un film sur l’écologie : je cramais mon quota carbone pour un film promouvant la décélération. Et dans le même temps, je voyais que certains réalisateurs intervenaient à distance pour des questions de temps. Je me suis alors demandé comment mieux utiliser l’outil Internet afin de faire plus d’interventions à distance, de baisser notre coût carbone et de réinvestir l’argent, non pas dans la prise en charge des réalisateurs, mais en les rémunérant pour leur intervention. En même temps, cela offrirait la possibilité de partager ces rencontres en simultané avec d’autres salles. L’outil numérique serait le moyen le plus rentable pour optimiser l’exploitation de nos sorties de films à distance. On avait d’ailleurs lancé une plateforme de VOD qu’on utilisait peu. 

Diriez-vous que ce concept de salle de cinéma virtuelle était en gestation ?

Oui on a bénéficié d’un alignement des planètes. D’ailleurs, il se trouve que dans ma vie personnelle, ma femme qui était enceinte en février, regardait de façon attentive ce qui se passait en Chine, puis en Italie. De mon côté, j’observais les cinémas dans ces pays-là. Je me rendais compte que les salles étaient passées rapidement en demi-jauge et qu’elles commençaient à fermer… Comme pour le nuage de Tchernobyl que la frontière n’avait pas arrêtée, je sentais qu’on serait touché à un moment ou à un autre. J’étais d’autant plus concerné qu’on avait une sortie prévue début avril avec Les grands voisins, la cité rêvée de Bastien Simon.

Concrètement comment avez-vous réussi à mettre en place aussi vite votre dispositif ?

Courant février, on s’est réuni avec l’objectif de maintenir notre sortie. On a mis en place un outil qui permettrait de remplir des demi-jauges, en faisant des séances dans la salle de cinéma, Quant aux spectateurs qui ne pourraient rentrer, ils pourraient regarder le film en simultané et participer au débat, de chez eux. L’idée était de filmer et diffuser la séance au même prix et à la même heure. Pour une sortie nationale, la seule solution était de laisser le film en ligne sur tout le territoire et accessible à tous : on a donc ajouté la brique de géolocalisation pour que toutes les salles puissent jouer le jeu sans se faire de concurrence mutuelle !

Pouvez-vous revenir sur le fonctionnement ?

Il y a une logique de partager une zone de chalandise. Ne vont dans une salle de cinéma en ligne, que les personnes qui pourraient aller réellement dans la salle ! L’idée est d’éviter de « voler » les spectateurs, de la salle voisine ! Ainsi ne peuvent avoir accès aux séances en ligne et à heures fixes, que les personnes situées à proximité des salles de cinéma qui organisent la séance en ligne (sur un rayon de 5 à 50 km). Sur des films plus anciens, dans le cas de rétrospectives - comme c’est le cas avec la programmation de Raymond Depardon -, l’enjeu n’est pas le même et on peut élargir la zone d’accès a tout le territoire voire à l’étranger.

Combien de salles ont rejoint ce dispositif ?

Pour le lancement Les grands voisins, la cité rêvée, on avait une cinquantaine de salles prévues. Pour les convaincre de garder le film « à l’affiche », on les a contactées les unes après les autres. Résultat : notre avant-première en salle de cinéma virtuel a obtenu plus de public que si elle avait eu lieu en salle : on a vendu 400 billets ! À ce jour, on a 293 lieux de diffusion sur les 2 000 salles que compte l’Hexagone et aussi des salles à l’étranger. On s’est également ouvert à d’autres distributeurs qui ont voulu lancer leurs films de cette manière : ils sont aujourd’hui 70. Vu qu’eux-mêmes démarchent des salles, cela crée une croissance exponentielle.

Êtes-vous les premiers à innover ce concept de e-cinéma ?

Nous sommes précurseurs en France et a priori au niveau mondial sur ce principe qui combine la géolocalisation, le débat, le partage de recettes ainsi que la contribution carbone. Sur chaque film, nous prélevons 10 centimes de contribution carbone pour compenser la pollution numérique. 

Qu’est-ce qui vous différencie de la VOD ?

Avec la VOD, le spectateur choisit dans un catalogue le plus large possible, un film qu’il peut regarder quand il veut. Avec La Ving-Cinquième Heure, ça se passe aussi en ligne mais le spectateur regarde un film à un horaire imposé, choisi par un programmateur d’une salle de cinéma. Dans 99 % des cas, la plateforme récupère la majorité des recettes, alors que l’on prend seulement 20 % : le reste est partagé entre l’exploitant et le distributeur. Dans notre dispositif, l’exploitant est au centre du jeu : l’objectif est qu’il puisse tirer bénéfice de l’exploitation en ligne de films, là où les revenus partent habituellement à une plateforme. Ce qui est légitime dans la mesure où c’est lui qui va animer et sensibiliser le public.

Un exemple concret significatif de ce dispositif hybride ?

Juste avant le second confinement, nous avions eu le temps de projeter un documentaire dans la salle de cinéma de Beaubourg combiné à un débat avec la réalisatrice. Il s’avère que la responsable de l’événement ayant contracté le Covid, elle a pu y assister de chez elle et poser ses questions. L’événement était diffusé dans six autres cinémas en France, à la fois en présentiel sur les écrans et dans les salles virtuelles mises en place, ainsi qu’à l’étranger dans les Instituts français de Dubaï, Alger… Connectés en visio, les autres directeurs de salles posaient les questions de leur public à la réalisatrice présente à Beaubourg, et les spectateurs qui y assistaient de chez eux adressaient les leurs en ligne. 

Comment voyez-vous la suite avec la réouverture des salles de cinéma le 15 décembre ?

Quand les salles vont ré-ouvrir, l’idée est de compléter leur jauge, notamment lors des séances débat : pendant le premier déconfinement, il y a eu des séances de nos films en présentiel où l’on a dû refuser du monde car les jauges étaient trop petites. Les réalisateurs étaient présents mais ce jour-là, il y avait trop de monde par rapport à la jauge limitée à 50 %. Certains n’ont pas vu le film et on n’a pas pu refaire un événement. On attend donc cette réouverture avec impatience afin de développer notre concept de salle augmentée. Cela permettra que les événements organisés par une salle de cinéma soient potentiellement partagés par autant de salles qui le veulent, en France mais aussi à l’étranger. 

À terme, vous imaginez une systématisation du dispositif ?

L’idée est que à chaque séance soit couplée avec une séance en ligne au même prix. Car pour diverses raisons, il y a des dizaines de millions de personnes qui ne peuvent voir les films en salle. Indépendamment du Covid, d’autres publics empêchés pourront bénéficier de ce concept : jeunes parents, seniors, personnes hospitalisées, sourds et malentendants etc. Ce dispositif permet de booster la reprise pour la salle de cinéma et d’éviter que l’argent aille sur des plateformes de VOD ! En outre, c’est une solidarité positive dans la mesure où la salle organisatrice retouche une partie des recettes générées par cet événement, dans les autres salles (soit 10 % de chaque billet vendu).

Votre ambition ?

Si l’idée est d’accélérer cette diffusion auprès d’autres cinémas afin qu’ils puissent accueillir un public en virtuel qui s’additionnerait au public en présentiel, il s’agit aussi de la développer auprès d’autres lieux culturels (salles de concerts, théâtres et opéras). 

Une satisfaction ?

La Vingt-Cinquième Heure a été repérée comme une innovation positive : en effet, nous venons de recevoir dans la catégorie cinéma, le Prix de l’innovation remis par Culture et Management 2020, décerné en partenariat avec le ministre de la Culture. Il se trouve que c’est dans les crises que nous sommes le plus résilients et faisons preuve d’inventivité ; déjà, en 2008, nous avions été précurseurs sur le financement participatif. 

Un souhait ?

Cette crise du Covid-19 devrait être l’occasion d’une prise de conscience : on fait tous partie d’une collectivité qui est l’humanité, avec la nécessité de ralentir pour parvenir à préserver notre bien commun qui est notre planète… il faut que soient tirées des leçons constructives sur la nécessité de retrouver les valeurs de solidarité et de partage, notamment de en matière de culture car c’est la culture qui permet de relier les Hommes, de générer du débat et de l’intelligence collective.

 

Pour en savoir plus :

Le site internet de La Vingt-Cinquième Heure  

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