La rythmique Dalcroze : un apprentissage de la musique par le corps

Ajouté le 05 juin 2020, par Florence Batisse-Pichet
La rythmique Dalcroze : un apprentissage de la musique par le corps

La méthode Dalcroze est introduite en France dans les années 50.
La méthode Dalcroze est introduite en France dans les années 50.
La méthode Dalcroze est introduite en France dans les années 50. ©Lea Crespi / Emilie Chatoux

Introduite en France dans les années 50, la méthode Dalcroze tombe ensuite dans l’oubli, faute d’enseignants. Il faut attendre la fin des années 90 pour voir l’amorce d’un renouveau. À la tête de l’association Dalcroze France, Anne-Gabrielle Chatoux l’enseigne depuis 1995 dans plusieurs conservatoires parisiens puis au conservatoire municipal de Vincennes et à la maîtrise de Radio France. Retour sur la genèse et les bénéfices de cet apprentissage précurseur, né en Suisse il y a 150 ans.

En quoi consiste cette méthode ?

La pédagogie Dalcroze est une méthode d'éducation musicale interactive et pluridisciplinaire qui met en relation les liens naturels entre le mouvement corporel et le mouvement musical, en déployant les facultés artistiques de celui ou celle qui la pratique. Le développement de l’oreille musicale se fonde par conséquent sur l’expérience de l’organisme dans son ensemble, sa mise en mouvement en relation avec l’espace qui l’entoure. Les trois matières principales sont : la Rythmique, le Solfège et l’Improvisation. Par son aspect holistique, on peut parler d’une démarche au service de tous les arts. Le meilleur résumé est cette citation de son fondateur Émile Jaques-Dalcroze :  « On n’écoute pas la musique uniquement avec les oreilles, on l’entend résonner dans le corps tout entier, dans le cerveau et dans le cœur. » Émile Jaques-Dalcroze, Notes Bariolées.

Comment l’avez-vous découverte ?

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Je suis née en Suisse. Dès mon enfance, j’ai été animée par une fibre artistique : je faisais de la rythmique à l’école, je suivais des cours de piano, de danse, de chant et de théâtre. Ainsi, l’année du bac, je ne voyais pas quelle orientation choisir. Dans le même temps, pour me faire de l’argent de poche, je servais dans un restaurant. J’aimais le contact et songeais à intégrer une école hôtelière. Et puis le destin s’en mêle. C’est au cours d’une discussion qu’une parente me parle de la méthode Dalcroze. Je me renseigne aussitôt. Je réalise qu’elle réunit enfin les différents arts que je pratique ! J’ai le déclic. Mon bac en poche, je m’inscris et passe le concours pour suivre la formation à l’Institut Jaques-Dalcroze de Genève.

Comment s’est déroulée votre formation ?

Dès le premier instant, je me suis sentie comme un poisson dans l’eau car cet enseignement était la synthèse de tout ce que j’aimais pratiquer. Chaque discipline (rythmique, solfège, piano, improvisation musicale, harmonie au clavier, danse, chant, pédagogie, …) est explorée en tant que telle dans sa profondeur, tout en étant sans cesse mise en relation avec les autres branches. On travaille autant sur soi que sur son futur métier. À l’époque, c’était l’équivalent d’une maîtrise en quatre ans, désormais le cursus se fait en cinq ans (bachelor - 3 ans + master - 2 ans). Puis vingt ans après, j’ai repris trois ans d’étude et obtenu le Diplôme Supérieur (équivalent à un doctorat professionnel, il est la plus haute qualification disponible), pour devenir à mon tour formatrice de la méthode.

Est-ce une pratique reconnue en France ?

En France, nous sommes seulement quinze enseignants sur l’ensemble du territoire. L’enseignement musical dalcrozien est dispensé dans plusieurs conservatoires et cours privés et s’adresse aux enfants, aux adolescents et aux adultes. Dans les écoles, elle est un moyen d’éveil, d’ouverture et de sociabilité, elle s’adapte particulièrement bien aux enfants qui ont des problèmes d’attention. Elle est très pratiquée par les danseurs et par les instrumentistes soucieux de retrouver une globalité dans leur approche. 
Plusieurs conservatoires et structures de formation professionnelle organisent des sessions de formation afin de sensibiliser les professeurs de musique, de danse et d’art dramatique à cette approche pluridisciplinaire tout en développant la cohésion du groupe. On y a également recours dans l’univers hospitalier et psychiatrique, ainsi que chez les seniors. 

Et ailleurs ?

En Suisse où est née la méthode, c’est un enseignement institutionnalisé, dans certains cantons (Vaud, Genève), il est inscrit au programme d’instruction publique. Les formations professionnelles sont présentes dans de nombreux pays d’Europe, dans plusieurs régions des États-Unis et du Canada, dans différents endroits d’Asie et d’Amérique latine, ainsi qu’en Australie. Beaucoup d’autres pays bénéficient de cours de rythmique pour enfants et adultes sans posséder pour le moment une infrastructure de formation professionnelle.

Quelques mots sur le fondateur de cette méthode ?

Émile Jaques-Dalcroze (1865-1950) est un musicien, homme de théâtre et compositeur suisse, originaire de Sainte-Croix, né en Autriche. C’est entre 1892 et 1910, alors qu’il enseigne l’harmonie au Conservatoire de Genève, qu’il s’interroge sur les rapports entre musique et mouvement, notamment à travers les interactions temps - espace - énergie et qu’il rompt avec une approche purement théorique pour élaborer la Rythmique, pédagogie interactive et pluridisciplinaire fondée sur la musicalité du mouvement et l’improvisation.
Il observe deux comportements parmi ses élèves : les « plus intellectuels » et les « plus sensoriels ». Partant de l’idée que ces qualités devraient former un tout, il révolutionne son enseignement : il fait enlever les tables, fait marcher ses élèves, imagine toutes sortes d’exercices stimulant la motricité globale dans l’espace. Selon lui, il ne suffit pas de comprendre mais il importe de ressentir la musique.
Sollicité en Allemagne, dans la ville de Dresde, il bénéficie d’une cité-jardin expérimentale. Ses recherches suscitent alors l’intérêt dans le monde entier. La première guerre mondiale le contraint à rentrer à Genève, où l’Institut Jaques-Dalcroze ouvre ses portes en 1915. Sa méthode essaime ensuite, elle sera alors dispensée dans les écoles tandis qu’il voyage pour la faire connaître. Émile Jaques-Dalcroze a laissé de nombreux écrits et il a insisté pour que chaque enseignant s’approprie la démarche tout en en respectant les principes. C’est aux nouveaux diplômés qu’il incombe d’en garder l’âme tout en la faisant évoluer.

« Toute la méthode repose sur ce principe que l’étude de la théorie doit suivre la pratique, que l’on doit enseigner des règles aux enfants que lorsqu’on les a mis à même d’expérimenter les faits qui ont engendré ces règles, et que la première chose que l’on doit enseigner à l’enfant c’est l’usage de toutes ses facultés. » Émile Jaques-Dalcroze, Le rythme, la musique et l’éducation.

Quels sont les bénéfices ?

C’est le contraire d’un apprentissage classique théorique. 
Basée sur l’expérience corporelle et une écoute sensible de la musique, cette méthode développe des facultés sur lesquelles il sera possible de compter toute sa vie : créativité et imagination, musicalité, sens du rythme, de la mélodie et du mouvement, coordination, équilibre, affirmation de soi, bien-être, gestion du multitâche, attention, concentration et mémoire. D’ailleurs, les atouts de la rythmique Jaques-Dalcroze au profit des seniors font actuellement l'objet d'un intérêt grandissant auprès des milieux scientifiques. Une étude en collaboration avec les hôpitaux universitaires genevois a démontré qu’une pratique régulière diminuait le risque de chute de 50 %. Certaines assurances complémentaires (mutuelles) proposent un soutien financier aux participants.

Quelles sont les conditions requises pour un cours ?

Une salle spacieuse sans table, un piano, une chaîne Hi-Fi, parfois des accessoires comme des cerceaux, des balles, des baguettes chinoises, des foulards… L’instrument de base pour l’enseignant est le piano, même si des variantes avec d’autres instruments sont possibles. Grâce à sa formation poussée en improvisation instrumentale, corporelle et vocale, le professeur invente les musiques, les jeux et les exercices en s’adaptant précisément au groupe présent, selon le contexte et le type de public.

Comment se déroule une séance type ?

Chaque cours est collectif et invite chacun à vivre les choses dans l’espace en lien avec les autres. Il a pour but la découverte d’une nouvelle notion ou du développement de celle-ci. Il s’agit de mettre l’élève dans la situation d’expérimenter de diverses façons le sujet travaillé.
Dans le premier temps d’un cours, typiquement « dalcrozien », on pourrait définir trois étapes dans le processus d’acquisition :

  • Première étape, l’élève suit la musique corporellement et réagit aux propositions sonores de façon instinctive. 
  • Deuxième étape, par des exercices de réaction, d’opposition, de coordination, de mémorisation, de mise en situation, l’élève prend conscience de ce qui a été travaillé.
  • Troisième étape, par des exercices de plus en plus précis, poussés et subtils mettant en relation le temps, l’espace et l’énergie, il est amené à analyser ce qui a été travaillé, à le reconnaître dans une chanson ou une pièce du répertoire, il peut également créer ses propres combinaisons. L’improvisation et la créativité sont alors développées.

Dans le deuxième temps d’un cours, plus « traditionnel », l’enfant fait le lien entre ce qui a été découvert dans le premier temps et une partition proposée (une chanson, une pièce musicale écrite…). Dans ce temps, l’élève est amené à lire, chanter, mettre en pratique en appliquant avec aisance tous les exercices qui auront précédé l’étude. 

Les moyens pour atteindre ces objectifs sont multiples. Plus les expériences auront été riches et diversifiées, plus les chances seront grandes pour les élèves enfants, adolescents ou adultes d’avoir véritablement intégré la nouveauté.

Un retour d’expérience d’un élève ?

Récemment, une ancienne élève violoniste aujourd’hui âgée de 24 ans, m’a confié : « J’avais l’impression de voler dans mes cours, tous mes souvenirs sont intacts. » Il y a dans cette méthode quelque chose d’inductif car les étudiants progressent de façon subtile et ne se sentent jamais mis en échec. On leur donne une sensation de liberté, une compréhension profonde, une réelle maîtrise, un développement de l’intuition… 

Peut-on se former en France au niveau professionnel ?

La formation diplômante en tant que telle n’existe pas encore. Pour cela il faut aller se former à l’Institut Jaques-Dalcroze de Genève. Mais nous avons créé dans le cadre de l’association Dalcroze France, une formation certifiante en partenariat avec l’Institut Jaques-Dalcroze de Genève et le conservatoire de Vincennes. 
L’équipe pédagogique responsable de la formation est constituée de :

  • Anne-Gabrielle Chatoux, diplôme supérieur de la méthode Jaques-Dalcroze
  • Laetitia Disseix-Berger, diplôme supérieur de la méthode Jaques-Dalcroze
  • Anne Lamatelle-Meyer, licence d’enseignement de la méthode Jaques-Dalcroze 

La formation au Certificat Dalcroze France* contient 250 heures de formation et se déroule sur deux ans sous forme de 12 week-ends au conservatoire municipal de Vincennes, de 90 heures d’observation pédagogique et d’une semaine intensive début juillet à l’Institut Jaques-Dalcroze de Genève. Elle s’adresse aux musiciens, danseurs, chefs de chœur, comédiens, pédagogues et à tout artiste désireux de compléter sa formation initiale par une formation certifiante pouvant enrichir sa propre pratique personnelle et professionnelle. La première promotion sortira en juin 2020 et la prochaine session aura lieu en 2020-2022.

*Ce titre de Certificat autorisera son détenteur à faire état de sa formation dalcrozienne et à appliquer les principes de la méthode dans le cadre de sa propre profession. En revanche, il ne permettra d’enseigner ni la méthode Jaques-Dalcroze, ni la Rythmique, ni de dispenser des formations portant le titre « Dalcroze ». L’usage du nom est protégé par la loi en tant que marque.

 

Informations pratiques :

Pour s’inscrire à la formation « Certificat Dalcroze » en deux ans : ouverture des inscriptions à partir du 15 mars 2020 : envoyer un CV et une lettre de motivation. Tarif prévisionnel pour les 2 ans : 3 800 euros pour un particulier ; 4 500 euros dans le cas d’une prise en charge par une collectivité.
Renseignements et inscriptions : certificatdalcrozefrance@gmail.com

Pour pratiquer, s’informer : chaque année, deux journées nationales avec des ateliers de sensibilisation aux conservatoires de Vincennes et de Rueil-Malmaison.
Pour pratiquer de façon régulière : 

Site de l’Association Dalcroze France
Site de l’Institut Jaques-Dalcroze en Suisse

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