Marie-Claude Pietragalla : la femme qui danse

Ajouté le 16 oct. 2020, par Florence Batisse-Pichet
Marie-Claude Pietragalla : la femme qui danse

Du 12 novembre au 31 décembre prochain, elle sera à l’affiche du Théâtre de la Madeleine pour son spectacle :« La femme qui danse ».
Du 12 novembre au 31 décembre prochain, elle sera à l’affiche du Théâtre de la Madeleine pour son spectacle :« La femme qui danse ».
Du 12 novembre au 31 décembre prochain, elle sera à l’affiche du Théâtre de la Madeleine pour son spectacle :« La femme qui danse ». ©Pascal Elliott

Danseuse, chorégraphe, directrice du Théâtre du Corps Pietragalla-Derouault, Marie-Claude Pietragalla célèbre en 2020, ses quarante ans de scène. Figure emblématique d’un art fragilisé par la crise du Covid-19, elle se sent plus que jamais investie dans une mission de transmission. En décembre prochain, elle sera à l’affiche du Théâtre de la Madeleine pour son spectacle : « La femme qui danse ».

Comment avez-vous vécu cette retraite forcée et d’absence de liberté des corps ? 

Ce fut très brutal. La veille du confinement, j’étais sur scène et je devais partir en tournée. J’ai a eu l’impression d’avoir les ailes coupées, avec une sensation d’étouffement. Avec mon mari Julien Derouault, nous avons continué à travailler l’imaginaire. Nous avons eu des réflexions profondes, aussi bien sur la vie intime que sur l’engagement de notre métier. Il va falloir nous réinventer et être soucieux de la solidarité des êtres humaines envers les autres.

Face à la crise et l’incertitude de la reprise, comme le spectacle vivant peut-il résister ? 

Entre famille et amis, on n’embrasse plus, on n’étreint plus personne. La bienséance est de se saluer sans aucun contact tactile. Même si danser seul, comme je peux le faire dans mon dernier spectacle, est formidable, la danse sans se toucher est inenvisageable. L’harmonie des corps repose dans l’équilibre et le déséquilibre de son partenaire et du groupe. Ne plus vivre cette sensation unique, de faire partie d’une énergie commune, serait difficile. On espère que même si les spectateurs sont masqués, ils seront là et viendront soutenir les artistes. 

L’imaginaire a-t-il été la clé pour résister durant le confinement ? 

Oui. On a travaillé sur des dossiers qui n’auraient pas vu le jour, si on avait continué à avoir nos spectacles et notre rythme effréné. On s’est dit qu’il fallait travailler absolument sur le futur, même s’il est encore incertain ; qu’il fallait mettre en perspectives les réflexions qu’on a eues à cause de ce confinement : on ne sortira pas indemne de cet enfermement. 

Qu’est-ce que cela a suscité comme nouveau projet ?

Le confinement a refait surgir des choses positives et négatives. On s’est mis à rêver sur la création d’un centre d’apprentis pour la danse, destiné à des professionnels sortant de conservatoires ou de cours privés. Nous souhaitons leur proposer un travail de transmission et d’enseignement supérieur, à travers l’expérience de notre compagnie le Théâtre du Corps : ils pourraient devenir apprentis-salariés pendant trois ans. Il est important de se tourner vers les nouvelles générations, et de leur donner des outils, des armes solides pour se confronter à ce métier magnifique qui est fragilisé. C’est un projet long à monter car il nécessite de nombreux partenaires, mais il nous tient à cœur. J’espère qu’il verra le jour d’ici un an. 

Pourquoi accordez-vous tant d’importance à la transmission ?

La vie d’un jeune danseur n’est pas que théorique. Quand on est sur scène, qu’on se confronte à des chorégraphes, à la vie d’une compagnie, elle est aussi pratique. Il est important qu’ils se fabriquent de l’expérience à travers le public, à travers la scène... Ce projet de CFA englobera l’art du mouvement avec les différentes esthétiques de la danse - que ce soit le classique, le contemporain, le hip hop mais pas que -, mais aussi le théâtre et des notions sur l’économie du spectacle vivant. 

Qu’est-ce qui a changé depuis vos débuts de danseuse étoile ?

À mon époque, la danse contemporaine émergeait ; il n’y avait pas toutes les possibilités actuelles. Aujourd’hui, un danseur peut se construire plus facilement : être à la fois chanteur et acteur, avec en plus le recours à tous les médias possibles. Paradoxalement, le champ professionnel est rétréci avec de moins en moins de travail. Beaucoup de danseurs doivent exercer d’autres métiers pour survivre. 

Votre approche de la transmission est-elle liée à votre expérience de la liberté ?

Depuis la création, avec mon mari et partenaire, Julien Derouault de notre compagnie indépendante Le Théâtre du Corps en 2004, j’ai pu m’émanciper de l’académisme que j’avais pu recevoir tout au long de ma jeunesse et de ma vie à l’Opéra de Paris. Cela m’a permis d’envisager le monde avec un autre prisme et de faire naître une technique inédite : on travaille sur des auteurs et la manière dont la danse peut interagir, et le corps libérer la voix. Mon objectif est que le danseur soit un artiste total.

« La femme qui danse » : pourquoi ce titre ?

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Il y a une quinzaine d’années, j’avais écrit un livre intitulé « La femme qui danse » avec Dominique Simonnet. Toute petite, je me considérais déjà comme une femme qui danse. Trop réductrice, la danseuse ne contient pas l’humanité sous-jacente. On ne doit pas oublier qu’on est avant tout un être humain. Ce titre m’est donc venu naturellement. 

Ce spectacle offre une expérience d’introspection et de technologie…

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J’ai souhaité ce spectacle comme une expérience sensorielle et poétique unique, avec tout un travail sur le souffle pour que public perçoive le double langage corps et voix. Il exprime pourquoi, depuis 40 ans, je suis là, sur scène. Je l’ai conçu avec des textes inédits créant un dialogue avec le public et moi-même. Sur scène, je suis équipée de capteurs qui communiquent avec des logiciels. Ma main devient le chef d’orchestre du son et de l’image, le corps peut accélérer ou décélérer. 

Comment qualifiez-vous vos textes ?

Ils sont le fil rouge de ce spectacle qui s’ouvre ainsi : « Je suis un animal dansant, un être incarné et désincarné qui évolue au gré d'un rythme intérieur, d'un souffle musical, d'une conscience éclairée. » Il s’agit de fragments inédits, plutôt philosophiques et poétiques, issus de mes réflexions sur mon métier, ma vie, la transmission, les grands maîtres du XXe siècle, que j’ai côtoyés, la relation au partenaire et à la musique... 

Un mot revient souvent dans vos propos : celui de résonance…

La résonance s’exprime dans le rythme, la musicalité du corps… elle fait référence aussi aux synchronicités et aux correspondances des événements, des émotions, des sensations, de la relation aux autres. C’est à travers le corps en mouvement que j’arrive à révéler l’indicible car il corps traduit l’inconscient de l’être. Ainsi la parole en mouvement a une résonance différente : elle permet d’emmener le texte, dans un autre chemin que si on l’écoute seulement. C’est le souffle, l’énergie, toutes les choses invisibles et indicibles, présentes autour de nous. 

Un adage d’un de vos maîtres, qui vous accompagne encore aujourd’hui ?

En studio, Noureev nous disait : « Faites, pas parler ! » Seule importe l’action. Cette phrase que toute ma génération de danseurs a entendue, m’a vraiment marquée.

Ce corps qui a une mémoire : comme l’écoute-t-on face à la douleur et à l’âge ? 

Je suis consciente de ma longévité. Au-delà d’une exigence au quotidien, c’est adopter une philosophie de vie. J’aime regarder les choses avec des yeux d’enfant, avoir toujours l’impression de pousser des portes, d’explorer de nouveaux champs... Tout cela est très moteur, de même que travailler avec la nouvelle génération. Quand on est confronté à des jeunes, on leur donne notre expérience ; ils nous transmettent en retour leur soif d’apprendre et leur énergie. C’est un échange gagnant-gagnant…

Votre secret forme ?

Depuis vingt ans, je suis suivie par un ostéopathe qui sait écouter et soigner le corps. Pierre-Yves Martin. Il maîtrise toutes les techniques d’ostéopathie. Réceptif aux résonances et après un cheminement personnel et sur son métier, il est capable de me remettre sur pied en peu de temps.  Je lui ai consacré un documentaire, mon premier film en tant que réalisatrice pour Arte2. Le thème était de choisir une personne de son entourage ayant un parcours de vie étonnant. Comme un ermite, il vit un isolement voulu, avec sa femme, en pleine nature, avec une vue infinie d’où l’on peut voir au loin Marseille, dans un ancien monastère : Notre-Dame-des-Anges -. Depuis que je l’ai rencontré à Marseille, on ne s’est plus quittés.

2Square d’artiste, Arte, 2018.


Vous avez réalisé de nombreux rêves depuis vos débuts. Peut-on connaître les prochains ?

Créer ce CFA pour la jeune génération, est un projet qui nous tient à coeur Julien et moi. Bien sûr continuer le travail du Théâtre du Corps et poursuivre mon travail de chorégraphe avec toutes les rencontres artistiques qui sont déterminantes et moteurs ; et peut-être aussi, même si le temps n’est pas propice à cela retrouver un peu d’insouciance.

Bio express

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  • 1973 : entrée à l’École de Danse de l’Opéra de Paris ;
  • 1979 : engagée dans le corps de Ballet de l’Opéra National de Paris ;
  • 1990 : nommée Danseuse Étoile sous la direction de Patrick Dupond ;
  • 1998 : nommée Directeur Général du Ballet National de Marseille et de son École Nationale Supérieure de Danse ; 
  • 1998-2004 : co-signe avec Julien Derouault neuf créations ;
  • 2000 : première danseuse à se produire à L’Olympia dans Don’t Look Back, solo mythique chorégraphié par Carolyn Carlson ;
  • 2004 : création de la compagnie, le Théâtre du Corps Pietragalla-Derouault.


Pour en savoir plus sur les cours de danse et masterclass : www.theatre-du-corps.com
Pour le spectacle « La femme qui danse » du 3 au 31 décembre 2020.
Réservation en ligne sur le site du Théâtre de la Madeleine ou au 01 42 65 07 09.

 

Cet entretien est initialement paru dans notre magazine Audiens Art de vivre n° 62 d'octobre 2020.
Pour découvrir le magazine, c'est ici :

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