Mireille Dumas : « Quand j’interviewe, je regarde autant que j’écoute… »

Ajouté le 17 oct. 2022, par Florence Batisse-Pichet
Mireille Dumas : « Quand j’interviewe, je regarde autant que j’écoute… »

Mireille Dumas, journaliste, réalisatrice de documentaires et productrice.
Mireille Dumas, journaliste, réalisatrice de documentaires et productrice.
Mireille Dumas, journaliste, réalisatrice de documentaires et productrice. ©Bernard Barbereau

Fin 2021, Mireille Dumas a fêté ses 40 ans de télévision. Fine observatrice de notre société, toujours sur le fil entre intime et public, la journaliste, réalisatrice de documentaires et productrice, revient pour Audiens Le Média sur ce chemin intérieur qui a guidé sa carrière. Des confidences sans détour et sans masque !

Quelle petite fille étiez-vous ?

Nourrie par les livres et l’écriture, je n’aurais jamais pensé sortir de la timidité qui m’habitait. Ce fut un long chemin vers les autres. Et quand je me retourne, je ne pense pas m’être trahie : je ressemble à la petite fille que j’étais.

Étiez-vous une enfant de la télé ?

Dès la fin des années 50, la télé était à la maison mais elle est tombée en panne et plusieurs années se sont écoulées avant qu’elle ne soit réparée ! Aujourd’hui, je ne sais plus si les émissions dont je me souviens sont celles que j’ai vues durant mon enfance, ou celles que j’ai visionnées en archives. En revanche, pour l’anecdote, j’ai révisé mon Bac sur fond de télévision…

Comment avez-vous surmonté votre timidité ?

Alors que je détestais la scène qui m’angoissait, je suis passée par le théâtre expérimental de Peter Brook. Aller au-delà des mots et communiquer avec l’autre malgré les différences ont été un enseignement essentiel. Étudiante, j’ai notamment animé des ateliers avec des enfants aveugles.

Quelles ont été les personnes déterminantes sur votre chemin ?

Il y a bien sûr ma mère qui fut mon institutrice ; le journaliste Pierre Viansson-Ponté qui m’a permis de m’exprimer en presse écrite et Dominique, mon « compagnon de route », réalisateur à la télé. La découverte de ce média a fait la jonction entre le théâtre et l’écriture et provoqué le déclic : j’allais pouvoir concilier l’image à une parole forte et la plus juste possible.

Après vos premiers documentaires comme journaliste et réalisatrice, vous vous orientez vers la production ?

Pour mon premier comme réalisatrice – il s’agissait de ma série « Le passé retrouvé », - j’étais partie en Turquie filmer Alice Sapritch, quelques mois avant sa disparition. À l’époque, on tournait encore avec des bobines. Parce qu’il me manquait une pellicule que le producteur m’a refusée, j’ai dû finir juste au son, au Nagra. Je me suis alors dit : plus jamais ça ! Devenir productrice était  le choix de l’indépendance mais en tant que telle, la production n’est pas ce que je préfère. J’avais eu quelques expériences avec des producteurs pour lesquels j’effectuais déjà en partie ce travail. Et c’est l’opportunité d’une série pour TF1, Crimes et passions, que j’ai produite et réalisée seule, dans l’unité de Pascale Breugnot, qui m’a permis de peaufiner mon apprentissage. 

Comment vous êtes-vous retrouvée sur le devant de l’écran ?

La série Crimes et passions ayant reçu de nombreux prix nationaux et internationaux dont le FIPA et l’ITALIA, Hervé Bourges et Pascal Joseph m’ont proposé de lancer une émission. Ma réponse fut Bas les masques : en tant que productrice, je leur ai suggéré des noms d’animateurs. Alors que je me voyais uniquement réalisatrice, journaliste et productrice, ce sont eux qui m’ont poussée à l’antenne.

Manier l’art du silence est votre marque de fabrique… d’où vous est venu ce style ?

Même si je l’ai ciselée au fil des ans, l’écoute de l’autre est, pour moi, naturelle. Et le silence est la voix intérieure. Enfant, j’étais autant attentive aux mots qu’aux bruissements de la maison. Durant mon expérience théâtrale avec Peter Brook, j’ai beaucoup pratiqué le yoga. Ce travail m’a donné la possibilité de me concentrer facilement et longtemps. Ainsi avant une émission ou un long échange, je fais toujours le vide en moi pour être totalement réceptive à l’autre. Et quand j’interviewe, étant réalisatrice, je regarde autant que j’écoute. Le silence comme la gestuelle sont très parlants.

N'avez-vous jamais eu envie de faire un documentaire sur Peter Brook ?

Il y a une douzaine d’années, j’ai revu Malick Bagayogo, un comédien malien qui faisait partie de la compagnie de Peter Brook et avec lequel j’avais mené plusieurs ateliers de théâtre, notamment dans les hôpitaux psychiatriques. Après cette rencontre,  j’ai eu l’idée de réaliser un film sur celui que nous considérions comme un maître, et aussi peut–être étais-je prête à relever ce défi,  mais son fils venait de proposer à Arte, Peter Brook sur un fil. Ce n’est pas évident de  faire le portrait de quelqu’un qui vous impressionne  ou qui vous est très proche. De même, j’ai eu très envie de filmer ma mère mais il y avait une espèce de gêne et de pudeur. Je ne l’ai pas fait.

Entre gravité et légèreté, vous avez couvert des sujets aux antipodes ?

J’ai porté des sujets lourds que j’ai souvent alternés avec des thèmes plus légers, à l’image de la vie. Et puis, je me suis aperçue qu’un peu de légèreté ne nuisait pas à la profondeur du propos et  permettait, bien au contraire, d’entrainer plus facilement le public vers des thèmes difficiles et délicats voire rébarbatifs a priori. De même, depuis toujours, je me suis autant intéressée aux parcours d’anonymes qu’à ceux de personnalités de tous horizons. Ces dernières années, j’ai réalisé beaucoup de portraits d’artistes, à base d’entretiens et d’archives. Il y a 3 ans, le terrain me manquait et j’ai tourné un documentaire sur les éboueurs de Paris : des ordures et des hommes avec des témoignages qui donnent à réfléchir sur nos comportements. 

Votre regard sur la télé ?

Nous sommes dans un paradoxe total. Une offre énorme et un media désertée par les nouvelles générations. Le nombre de chaines est si important qu’on passe d’ailleurs un temps fou à choisir ! Ou c’est un peu au petit bonheur la chance… Je suis étonnée qu’à des heures de grande écoute, il y ait si peu d’émissions de société avec des témoignages. C’est important, c’est le pouls de la société. Aujourd’hui, on ne voit les anonymes que dans les documentaires et très rarement en plateau. Or, pouvoir s’exprimer est une soupape. Bien-sûr, les gens parlent librement sur les réseaux sociaux mais c’est une parole différente qui va du point de vue au ragot. Il n’y a pas de mise en perspective. On n’entend pas le parcours. Et puis cela ne concerne qu’une partie de la population.

Quel regard portez-vous sur les réseaux sociaux ?

La multiplication des moyens de communication avec Internet est une avancée formidable. Des sujets qui ont stagné pendant 30 ans, ressortent, il y a des pétitions, ça bouge. En même temps, l’envers du décor, est le fait de dire tout et n’importe quoi, dans une dénonciation permanente. Ce qui me chagrine aussi c’est que, paradoxalement alors que l’on a accès à tout, il y a une tendance au repli. Les internautes se parlent de plus en plus entre eux, en communautés fermées. Cela  va à l’encontre du sens de mon travail et de l’ouverture à l’autre, du droit à la différence pour vivre ensemble et échanger.

Votre actualité ?

À l’occasion de mes 40 ans de télévision en novembre 2021, j’ai publié Rencontres inoubliables – Vie privée, Vie publique, couplé à un documentaire diffusé sur France 3. La chaîne m’a demandé d’en préparer un deuxième, toujours à partir de mes grands moments d’entretien. Il devrait être diffusé en 2023.

La transmission qui est au cœur de votre parcours est un héritage de votre mère…

Elle était une merveilleuse institutrice et une mère formidable qui a élevé seule, six enfants. Féministe avant l’heure, elle défendait le droit de disposer de son propre corps. Si j’ai pu aborder la pédophilie, le viol sur les enfants et d’autres sujets encore, c’est grâce à elle. Elle était en faveur de l’avortement et du droit de mourir dans la dignité. Grande lectrice du Monde et du Nouvel Obs, elle me découpait des articles qui pouvaient m’inspirer des thèmes d’émission. À la retraite, elle lisait au moins un livre par semaine et nous partagions réciproquement nos lectures C’est elle qui a fait l’être humain et la citoyenne que je suis.

Vous l’avez accompagnée durant les dernières années de sa vie…

Ce furent des années extraordinaires. Ma mère a vécu jusqu’à 100 ans et un mois. Nous nous étions fait une promesse mutuelle : elle n’irait pas dans un établissement pour seniors. Je l’ai fait parce que j’en avais la possibilité et surtout par amour car je voulais lui rendre ce qu’elle m’avait donné. Pouvoir l’accompagner a été l’un des plus beaux moments de ma vie, même si c’était parfois difficile. Et puis, il y a des étapes à passer. Je n’avais jamais vu ma mère nue ; la découverte de son corps était aussi compliqué pour elle que bouleversant pour moi. Des personnes m’ont aidée au quotidien mais durant le week-end, nous étions toutes les deux, comme dans un cocon. Elle était très coquette et je prenais le temps de la coiffer, de m’occuper d’elle. Elle était intellectuellement très présente à ce monde et jusqu’à la veille de sa mort, elle s’est mise en colère en voyant à la télé un discours politique qui la contrariait ! Les rapports ont pu s’inverser et je la protégeais mais jusqu’à la fin, elle est restée ma mère et elle n’est jamais devenue mon enfant. 

Et la mort qui s’approchait, comment l’avez-vous abordée ?

En en parlant pour tenter de l’apprivoiser et en en riant parfois. Elle m’avait indiqué qu’elle souhaitait être incinérée car elle aurait peur d’être claustrophobe dans un cercueil ! On plaisantait beaucoup à partir de cette appréhension incongrue de personne en vie… On s’amusait aussi à imaginer aussi comment on pourrait communiquer dans l’au-delà.  Elle semblait sereine face à la mort mais elle disait souvent que les croyants avaient de la chance, qu’elle les enviait. Quoiqu’il en soit, il n’y a pas de manuel pour aborder la mort … c’est selon la relation à l’autre et ses propres questionnements.

Vous faites partie du comité d’honneur de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) ?

J’ai rejoint l’association dans les années 90, après une émission et une rencontre avec le sénateur Henri Caillavet qui en était l’un des fondateurs. J’ai fait plusieurs émissions sur le droit de choisir sa mort : en 1992, dans Bas les masques, puis en 2004 dans Vie privée Vie Publique autour de Vincent Humbert. Ce droit est aussi inaliénable que celui d’avorter : c’est un choix personnel qui n’entrave pas la liberté de l’autre. En cela, j’ai hérité des valeurs transmises par ma mère. 


À lire : Rencontres inoubliables, Vie privée Vie publiques, Mireille Dumas (Le Cherche Midi, décembre 2021)

Pour suivre l’actualité de Mireille Dumas : www.youtube.com

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