Nelly Quettier : une orfèvre du montage

Ajouté le 30 mars 2022, par Florence Batisse-Pichet
Nelly Quettier : une orfèvre du montage

Nelly Quettier, monteuse dans le cinéma et lauréate du César 2022 du meilleur montage.
Nelly Quettier, monteuse dans le cinéma et lauréate du César 2022 du meilleur montage.
Nelly Quettier, monteuse dans le cinéma et lauréate du César 2022 du meilleur montage. ©Nelly Quettier

Hormis quelques cinéphiles avertis, les arcanes du montage sont le plus souvent méconnus. Depuis plus de quarante ans, Nelly Quettier exerce ce métier avec la subtilité d’une orfèvre. Lauréate du César 2022 du meilleur montage pour Annette de Leos Carax - qui a totalisé cinq récompenses - elle revient sur son parcours et cette passion intacte, qui l’habite.

La genèse de votre vocation ? Le déclic ?

Quand j’étais petite, j’adorais aller au cinéma. Je reste encore fascinée par ce moment où la lumière s’éteint et nous fait plonger dans un autre monde. Mes parents n’appartenaient pas à ce monde mais en classe de quatrième, j’avais une amie dont le père était réalisateur à la télévision. Un samedi, elle le rejoint en salle de montage et ce qu’elle m’en décrit, le lundi suivant, me fascine. À l’époque, il n’y a pas Internet et ce n’est pas facile de s’informer. J’identifie deux écoles et sans hésiter, après mon bac, je m’inscris à Paris VIII, en section cinéma, pour préparer Louis Lumière. J’y passe un an.

Un souvenir inoubliable ?

Un de nos professeurs de Vincennes montait un long métrage. Il m’avait proposé de l’aider. Le film tourné en Super 8 racontait l’histoire d’un patron qui vampirisait ses ouvriers ! Tout un programme... Nous sommes en 1976 et c’est la première fois que je peux enfin entrer dans une salle de montage, à l’époque de la pellicule.

Une rencontre déterminante ?

Et là, je croise un monteur de documentaires, Ragnar Van Leyden qui fut le complice de William Klein, Joris Ivens, Chris Marker. Ce bricoleur de génie me propose de faire la synchronisation d’un documentaire de William Klein sur Hollywood. Il me m’embauche deux semaines et à ses côtés, je vais apprendre sur le tas. Et voilà comment j’ai eu 20 ans dans une salle de montage ! Excellent pédagogue, Ragnar me pousse à monter. Son leitmotiv : « On apprend à monter en montant ». Boulimique, j’enchaîne aussi bien des courts métrages que des actualités régionales pour France 3. L’autre rencontre majeure est bien sûr celle avec Leos Carax.

Votre premier long métrage ? Documentaire ou fiction ?

À 26 ans, je monte mon premier long métrage de fiction. C’est un film de Pierre Jolivet, Strictement Personnel.  J’avais fait sa connaissance par Luc Besson dont j’avais monté le premier court-métrage.

Vous avez connu le passage de la pellicule au numérique, juste avant les années 2000 : quelle différence entre ces deux époques ?

La projection des rushes qu’on découvrait sur un écran était un moment magique : il y avait une émotion incroyable, et en même temps une grande concentration. Désormais, on découvre les plans, sur de petits moniteurs, plus ou moins bien réglés. Autre changement : la dimension physique a disparu. On portait les boîtes, déroulait et enroulait la pellicule sans arrêt, et c’était fascinant de se dire que de toutes ces boîtes allait sortir un film !

Quelles sont les étapes jusqu’à la « copie finale » ?

Première étape, je lis le scénario. Puis à partir de là, je forme une équipe. Du temps de la pellicule, l’équipe partageait tout le processus du montage ; avec le numérique, ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, on est généralement deux : le réalisateur et le monteur. L’assistant n’est là qu’au début et à la fin du projet... Sur Annette, j’ai pu avoir une assistante tout au long du projet. Pour certains films, je commence le montage pendant le tournage, et pour d’autres cela se passe après. C’est en fonction des réalisateurs. Avec Leos Carax - parce qu’on se connaît bien - je commence tout de suite le montage. Cela me permet de régler les problèmes techniques, de mieux connaître le matériel et de faire un premier montage.

Quel est le processus pour tirer le meilleur des rushes tout en gardant l’esprit du scénario ?

Lire le scénario puis l’oublier. Ensuite, être physiquement au contact du réalisateur permet d’éviter les contresens. Pour moi, un moment important est de regarder, de dé-rusher ensemble. Cela permet de sentir ce que le réalisateur aime ou n’aime pas, surtout quand on le connaît peu. Autrefois, la projection des rushes permettait aussi cela.

Comment qualifieriez-vous cette collaboration avec le réalisateur ?

C’est un échange qui se joue comme une partie de ping-pong. On doit l’accompagner - il prend ou pas une proposition - puis chacun rebondit. Un montage n’est jamais une ligne droite. On se perd, on recentre... Et à la fin du montage, on ne sait plus qui a dit ou fait quoi.

Votre moment préféré ?

Découvrir les premiers rushes ! Aujourd’hui, par exemple, j’évite de passer sur un tournage car ça imprime déjà votre rétine ; or il est important d’être le plus vierge possible pour recevoir toutes les émotions que peuvent nous procurer les rushes.

Le cinéma, ce sont des images, de la musique et du son bien sûr....

Oui, nous n’arrêtons pas de jouer avec ces trois éléments pour fabriquer un film. Et c’est pour cela qu’une bonne collaboration avec un monteur son est essentiel. Soit nous travaillons avec un compositeur qui nous livre des maquettes en cours de montage, soit nous prenons des musiques existantes.

Les qualités d’un monteur ?

D’être le plus ouvert possible, d’être attentif à ses sensations, à ce qui vient du ventre. Et comme chaque réalisateur est différent, nous devons être des caméléons tout en gardant notre propre goût.

Quel est le temps moyen d’un montage ?

Le montage est un long processus pouvant aller de 10-12 ou 20 semaines ou plus. C’est pourquoi, il m’est difficile d’enchaîner des projets. J’ai besoin d’un temps de ‘’décompression’’ car chaque film a univers est très spécifique.

Un autre aspect que vous aimez dans votre métier ?

La possibilité de voyager, changer de lieux, de pays ou de travailler chez moi. Pour Annette, nous avons passé plusieurs mois à Bruxelles pendant le tournage puis à Paris. Pendant le confinement, nous sommes partis dans le Sud et c’est à Liège, que le film fut terminé.

Entre docu et fiction, votre cœur balance ?

J’alterne les deux. Ce que j’apprends du documentaire, je m’en sers pour la fiction et vice-versa : les deux se complètent.

Parmi vos collaborations, il y a quelques monstres sacrés : Claire Denis, Barbet Schroeder, Ursula Meier, et surtout Leos Carax, dont vous avez monté tous les films...

Avec Leos, on s’est rencontrés en 1985 sur le tournage de Mauvais Sang ; à chaque film, ce furent de vraies aventures humaines, de grands voyages. On est passé ensemble de la pellicule au numérique et comme c’est quelqu’un qui aime le montage, on invente et on va plus loin : c’est très jouissif pour moi. D’autres réalisateurs n’ont pas ce plaisir du montage. 

Les collaborations sont le fruit des rencontres...

Et aussi celui du hasard, des disponibilités. Au montage, un lieu clos à l’abri des regards, on arrive à percevoir assez vite la personne avec qui on travaille. Mais cela m’est arrivé d’avoir des collaborations difficiles ; alors, dans ces cas-là, il vaut mieux arrêter. Quand il y a une mauvaise entente, mieux vaut avoir le courage de se retirer du projet. Sinon le film en pâtit.

Le(s) montage(s) dont vous êtes la plus fière ?

Il y en a plusieurs. Je pense à Beau travail de Claire Denis produit par Arte : ce film a traversé le temps et depuis plus de 20 ans, est vu par de nombreuses personnes jeunes dans les cinémathèques. Et bien sûr, mes autres fiertés sont liées à Leos : Mauvais sang, Les Amants du Pont Neuf, Holy Motors, un film collectif Tokyo ! et évidemment Annette. Il y a aussi les films de Barbet Schroeder : Le vénérable W ou L’avocat de la terreur ; de Mariana Otero : Histoire d’un secret. Une autre belle rencontre fut celle avec la réalisatrice italienne, Alice Rohrwacher, lors du film, Heureux comme Lazzaro.

Quelle est la place des femmes dans ce métier ?

Les femmes ont longtemps tenu une place prépondérante. En France, ce fut d’avantage un métier de femme. Désormais, plus d’hommes que de femmes montent des films de fictions. Lors de cette édition des Césars, j’étais d’ailleurs la seule femme nominée ! L’association, Les Monteurs associés, a mené une enquête sur les salaires vers 2018 qui faisait ressortir que les monteurs hommes sont mieux rémunérés que les monteurs femmes !

Qu’avez-vous éprouvé lors de la remise du César du meilleur montage pour Annette ?

Je suis restée sur un petit nuage pendant une semaine. C’était la première fois que des Césars étaient attribués pour un film de Leos Carax et nous avons vraiment été très heureux pour le film.

 

En savoir plus :

  • Pour aller plus loin et connaître les détails du montage du film Annette : lire l’entretien de Nelly Quettier sur le site des Monteurs associés
  • Si vous êtes un professionnel, savez-vous que l’association Les Monteurs associés rassemble plus de 250 monteurs et monteurs son (chefs, assistants et adjoints) du cinéma et de l’audiovisuel
  • Pour se former une école publique basée à Lyon : cinefabrique.fr
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