Sur les traces de Gabriel Monnet, figure du théâtre des années 60

Ajouté le 14 juin 2022, par Florence Batisse-Pichet
Sur les traces de Gabriel Monnet, figure du théâtre des années 60

« L’intérêt de ce livre […] transmettre la vision de Monnet, soucieux d’un théâtre qui soit source d’enrichissement pour le plus grand nombre. »
« L’intérêt de ce livre […] transmettre la vision de Monnet, soucieux d’un théâtre qui soit source d’enrichissement pour le plus grand nombre. »
« L’intérêt de ce livre […] transmettre la vision de Monnet, soucieux d’un théâtre qui soit source d’enrichissement pour le plus grand nombre. » ©François Carré

À 82 ans, François Carré est porté par une passion, celle de Double Cœur. Cette association dont il est le président fondateur depuis 2003, veille à préserver l'action menée par Gabriel Monnet (1921-2010). Cette figure du théâtre des années 60, a permis à la ville de Bourges, d’être alors une plaque-tournante de la culture. Un beau livre-DVD « La Belle Saison, Gabriel Monnet à Bourges 1960-1969 », publié à l’occasion de l’anniversaire de sa naissance en 2021, retrace son parcours : une lecture qui ravira les nostalgiques de cette période d’effervescence de décentralisation culturelle, ou inspirera les nouvelles générations.

Votre parcours ?

Je suis l’aîné d’une fratrie de cinq garçons. Après mon service militaire, mes parents qui tenaient une librairie-papeterie, espéraient que je les rejoindrais. Le destin en a décidé autrement. Un matin de fin 1961, je suis tombé sur une annonce « Recherche technicien pour construire des décors à la Comédie de Bourges ». Ayant suivi une formation de menuisier-ébéniste-charpentier, je correspondais au poste. En outre, j’étais passionné de musique et de radio. Je fus donc embauché. À la suite d’une panne de son, survenue en pleine représentation, j’ai sauvé un spectacle. À partir de là, j’en ai fait ma spécialité. J’ai suivi des formations à Radio France pour devenir ingénieur du son. Successivement, au sein de la Comédie de Bourges puis de la Maison de la Culture, j’ai gravi les échelons de régisseur pour finir directeur technique. En 1977, j’ai été partie prenante à la création du Printemps de Bourges.

En quoi votre rencontre avec Gabriel Monnet a-t-elle été déterminante ?

Grâce à Gaby, j’ai non seulement appris un métier mais j’ai vécu une époque extraordinaire. Il m’a fait découvrir une kyrielle d’artistes de renom ! Par exemple, pour La provocation, une pièce sur la montée du nazisme de Pierre Halet, j’ai travaillé avec Calder pour les décors, et Jean Ferrat, pour la musique ! En plus de diriger des artistes et des techniciens, Monnet savait fédérer les talents et susciter des vocations. C’était un vrai capitaine ! D’ailleurs, si Gérard Depardieu s’est lancé dans le théâtre, c’est parce qu’il avait assisté à l’occasion de sorties scolaires, à des représentations de la troupe de la Comédie de Bourges, données à Châteauroux. Plus tard, il lui dira : « C’est grâce à toi que j’ai pu faire cette carrière. » Pour moi, Monnet est un génie ! 

Quel pitch pour résumer Gabriel Monnet ?

De formation instituteur, il est résistant pendant la deuxième Guerre Mondiale (maquis du Vercors et de l’Ardèche), il devient en 1945, instructeur national d’art dramatique à la jeunesse, en charge de veiller à la formation du théâtre amateur.

Il démarre sa carrière comme acteur et metteur en scène en septembre 1957 à la Comédie de Saint-Étienne, alors dirigée par Jean Dasté, avant de partir à Bourges. Il fonde ensuite la Comédie de Bourges, futur centre dramatique national puis avec sa troupe, il anime la première Maison de la Culture en octobre 1963, dont il est le premier directeur. Mais après une période faste et riche, les événements de 1968 font tout exploser. Monnet avait permis aux étudiants de tenir des réunions, ce que la municipalité lui a reproché et le ministère sanctionnera la ville de Bourges et il devra prendre un nouveau départ à Nice.

En quoi la Maison de la Culture de Bourges (MCB) inaugurée en 1963, est un symbole de la décentralisation culturelle de cette période ?

Elle incarnait la maison de la culture pluridisciplinaire, dont rêvait Malraux, c’est-à-dire un lieu propice à mener des expériences et à rendre la culture accessible à tous. Lors de son inauguration officielle en mai 1964, celui-ci déclara : « Il faut que vous compreniez bien que ce qui se passe ici est une certaine aventure probablement unique dans le monde entier. » Si la première Maison de la Culture fut celle du Havre, suivie de celle de Caen, seule celle Bourges aura été exemplaire de cette effervescence.

Pourquoi l’expérience de la maison de la culture de Bourges aura-t-elle été inédite ?

Malraux disait : « Les maisons de la culture sont les cathédrales du XXe siècle » et Monnet, précisait « avec toutes les religions ». Toutes les couches de la population vivaient alors la culture. La maison était comme un grand jardin public. Les deux théâtres avaient leur troupe permanente qui deviendra centre dramatique national en 1963. Celle-ci partait en tournée en France et à l’étranger. Les comédiens montaient leurs propres spectacles qu’ils jouaient dans les écoles. Il y avait des séances de cinéma, une bibliothèque, des salles d’expositions. Gabriel Monnet avait également créé le Festival des théâtres de province, destiné à réunir tous les acteurs au niveau de la décentralisation. 

Un ou deux souvenirs marquant parmi les grands moments de cette période faste ?

En 68, il y a eu une expo sur Calder qui avait envahi l’ensemble du bâtiment dont un grand stabile sur le parvis. J’ai aussi en mémoire le concert de Duke Ellington, et puis au niveau du cinéma, on a vécu la création du film Le Grand Meaulnes. Je me souviens que j’assurais la projection des rushes au fur et à mesure du tournage devant l’équipe... Parmi les grandes signatures de la revue mensuelle, L’Almanach, diffusée dans le monde entier (130 pays), on comptait celle d’Edgar Morin qui venait régulièrement à la Maison de la Culture. Aujourd’hui encore, ces textes sont étudiés à l’université. De même, toutes les émissions de Cinq Colonnes à la Une étaient retransmises en salle, suivies d’un débat. Nous organisions de grandes conférences sur les religions, les paysans, la justice, etc.

Cet engagement de la culture était très poussé…

Pour créer un contre-pouvoir, Monnet avait mis en place un conseil culturel composé d’ouvriers, d’enseignants, de commerçants et d’entrepreneurs, avec plus de 150 relais touchant tous les secteurs d’activités du département. Ces commissions permettaient d’associer toutes les couches de la population : on comptait jusqu’à plus de 11 000 adhérents. À partir des années 70, il y a eu d’autres maisons de la culture à Grenoble, Chambéry, Nevers… mais elles fonctionnaient différemment. En 1990, elles ont été remplacées par les scènes nationales.

Comment avez-vous eu l’idée de fonder cette association ?

De cette période, il restait une foultitude de documents qu’on a dû inventorier (catalogues, photos, affiches, programmes, enregistrements…). En 2003, me retrouvant à la retraite, j’ai décidé de créer Double Cœur  pour sauver la richesse de ces archives vidéo et sonores, ainsi que les documents papiers : depuis lors, je numérise cette mémoire audio et je la dépose aux Archives départementales du Cher (Cf : certains enregistrements numérisés via Monnet Ciclic). J’ai pu les sauver in extremis, avant que tout ne parte à la benne car au lieu de rénover la maison de la culture, la municipalité a finalement construit un nouveau bâtiment, inauguré en septembre 2021.

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Votre ambition ?

L’association a pour objectif de rappeler la force du spectacle vivant : la culture permet d’éviter le repli sur soi et doit permettre plus de solidarité. C’est l’intérêt de ce livre et des textes sélectionnés pour transmettre la vision de Monnet, soucieux d’un théâtre qui soit source d’enrichissement pour le plus grand nombre.

Quelle est l’origine du nom de l’association ?

Double cœur est d’abord le logo (deux cœurs réunis par la pointe) que Gabriel Monnet avait demandé de dessiner à Christian Delorme pour la Comédie de Bourges. Puis il est devenu aussi celui de la Maison de la Culture. Après qu’il nous a donné l’autorisation de l’utiliser pour l’association, nous avons naturellement adopté ce nom. Voici d’ailleurs ce que Monnet en disait : « Cela signifie encore aujourd’hui, que la « Maison de la Culture » est née, a vécu, de l’esprit d’invention et du développement d’une troupe de théâtre, pluridisciplinaire par définition… Ce double Cœur rappelle par miracle (!) la signature de Jacques Cœur, mais signifie surtout, au cœur de la France, la rencontre, (comme dans un miroir) de l’Art et de son Semblable : le public, de l’image et de son reflet, du regard et du regard…  de la ville et du temps ».

 

Renseignements :

Pour soutenir l’association et suivre ses actualités : doublecoeur.fr 
Pour se procurer le livre : commande en ligne le site de l’association
Tarif 38 € + 10 € de frais de port.

Principales librairies où l’ouvrage est en vente :

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